Toyen
Flux et reflux de la nuit
Found at
Christies,
Paris
Collection Paul et Jacqueline Duchein, Le Théâtre de l'imaginaire, Lot 46
24. Sep - 24. Sep 2024
Collection Paul et Jacqueline Duchein, Le Théâtre de l'imaginaire, Lot 46
24. Sep - 24. Sep 2024
Estimate: 800.000 - 1.200.000 EUR
Price realised: 1.189.500 EUR
Price realised: 1.189.500 EUR
Description
« Il fait nuit dans la pièce où tremble un oreiller
Comme un voilier qui sent venir la haute mer,
Et je ne comprends pas si je suis l'équipage
Ou l'adieu d'un bras nu resté sur le rivage. »
Jules Supervielle, Le Forçat innocent, 1930.
On ne peut s'empêcher de songer à ces vers du poème Le Forçat innocent (1930) de Jules Supervielle (1884-1960) en contemplant Flux et reflux de la nuit, composition lyrique peinte par Toyen en 1955. Supervielle, bien qu'il n'adhérât guère au surréalisme, fut un membre actif de l'avant-garde littéraire parisienne des années 1940, proche de poètes, écrivains et critiques tels que Jean Paulhan (1884-1968), Henri Michaux (1899-1964) ou René Etiemble (1909-2002). La notion de « flux » et de « reflux » évoque par ailleurs une idée de mouvement perpétuel, d'oscillation entre deux mondes, qui n'est pas sans rappeler la formule de l'écrivaine Annie Le Brun, « l'écart absolu », dont elle fera le titre de la grande rétrospective de Toyen au Musée d'Art Moderne de Paris en 2022.
À l'écart, l'artiste le fut en effet inlassablement, se positionnant toujours à contre-courant des grandes tendances esthétiques de son temps, au profit d'une multitude de recherches plastiques vouées à exprimer le regard singulier qu'elle portait sur le monde : le monde autour d'elle, en elle, et au-delà. La volonté de traduire en peinture la perception poétique des souvenirs traverse l'ensemble de son œuvre, depuis les premières heures de l'« artificialisme », mouvement qu'elle cofonde avec son compatriote tchèque Jindřich Štyrský en 1926. En découle un langage visuel où, selon Whitney Chadwick, « les impressions, les images et les sentiments (vécus ou imaginés) laissent leur empreinte sous forme de traces abstraites et de vives sensations chromatiques » (W. Chadwick, Women Artists and the Surrealist Movement, Londres, 1991, p. 115).
Une trentaine d'années plus tard, et peu de temps après sa période surréaliste, c'est sa vision-même de la vie, très subjective, que Toyen semble cristalliser dans Flux et reflux de la nuit, à travers la métaphore du va-et-vient des vagues s'écrasant contre un oreiller à la dérive dans un intérieur nocturne.
Les tableaux que conçoit Toyen durant les années 1950 présentent bien souvent des éléments organiques, des figures difformes ou des paysages équivoques, comme celui-ci, qui suscitent à la fois le malaise et l'émerveillement. Son approche déroutante de la couleur et des textures intensifie la dimension fantastique de ces œuvres, plongeant l'observateur dans des univers où se confondent illusion et réalité. Ici, elle parvient à traduire toute l'immatérialité du ciel sombre, dont l'aspect éthéré vient trancher avec le rendu étrangement sculptural de ce coussin qui semble fait de marbre plutôt que de molleton. Arrive ensuite un fabuleux déferlement de touches souples et enlevées pour signifier la mer et les vagues, dont le flot paraît emporter l'oreiller dans l'obscurité. En ce sens, Flux et reflux de la nuit illustre pleinement la virtuosité avec laquelle Toyen arrive à mêler un parfum de mystère et une certaine profondeur psychologique à son imagerie onirique.
Aucun critique n'a mieux saisi la richesse de la démarche artistique de Toyen que son amie proche, femme de lettres et poétesse, Annie Le Brun. Celle-ci écrit dans l'introduction du catalogue d'exposition Toyen, L'Écart absolu : « Toyen va déserter toutes les voies balisées. En ce sens, personne plus qu’elle n’aura incarné l’'écart absolu' auquel appelait Charles Fourier : 'Colomb, pour arriver à un nouveau monde continental, adopta la règle d’écart absolu ; il s’isola de toutes les routes connues, il s’engagea dans un océan vierge, sans tenir compte des frayeurs de son siècle ; faisons de même, procédons par écart absolu.' En est résulté pour Toyen un voyage sans précédent, au cours duquel la peinture aura été avant tout le prétexte de s’aventurer dans les continuelles mouvances de la représentation, à la seule fin d’y discerner les courants susceptibles de nous emporter au-delà de ce qui est tenu pour réel » (A. Le Brun, in Toyen, L'Écart Absolu, cat. exp, Musée d'Art Moderne de Paris, Paris, 2022, p. 11).
Comme un voilier qui sent venir la haute mer,
Et je ne comprends pas si je suis l'équipage
Ou l'adieu d'un bras nu resté sur le rivage. »
Jules Supervielle, Le Forçat innocent, 1930.
On ne peut s'empêcher de songer à ces vers du poème Le Forçat innocent (1930) de Jules Supervielle (1884-1960) en contemplant Flux et reflux de la nuit, composition lyrique peinte par Toyen en 1955. Supervielle, bien qu'il n'adhérât guère au surréalisme, fut un membre actif de l'avant-garde littéraire parisienne des années 1940, proche de poètes, écrivains et critiques tels que Jean Paulhan (1884-1968), Henri Michaux (1899-1964) ou René Etiemble (1909-2002). La notion de « flux » et de « reflux » évoque par ailleurs une idée de mouvement perpétuel, d'oscillation entre deux mondes, qui n'est pas sans rappeler la formule de l'écrivaine Annie Le Brun, « l'écart absolu », dont elle fera le titre de la grande rétrospective de Toyen au Musée d'Art Moderne de Paris en 2022.
À l'écart, l'artiste le fut en effet inlassablement, se positionnant toujours à contre-courant des grandes tendances esthétiques de son temps, au profit d'une multitude de recherches plastiques vouées à exprimer le regard singulier qu'elle portait sur le monde : le monde autour d'elle, en elle, et au-delà. La volonté de traduire en peinture la perception poétique des souvenirs traverse l'ensemble de son œuvre, depuis les premières heures de l'« artificialisme », mouvement qu'elle cofonde avec son compatriote tchèque Jindřich Štyrský en 1926. En découle un langage visuel où, selon Whitney Chadwick, « les impressions, les images et les sentiments (vécus ou imaginés) laissent leur empreinte sous forme de traces abstraites et de vives sensations chromatiques » (W. Chadwick, Women Artists and the Surrealist Movement, Londres, 1991, p. 115).
Une trentaine d'années plus tard, et peu de temps après sa période surréaliste, c'est sa vision-même de la vie, très subjective, que Toyen semble cristalliser dans Flux et reflux de la nuit, à travers la métaphore du va-et-vient des vagues s'écrasant contre un oreiller à la dérive dans un intérieur nocturne.
Les tableaux que conçoit Toyen durant les années 1950 présentent bien souvent des éléments organiques, des figures difformes ou des paysages équivoques, comme celui-ci, qui suscitent à la fois le malaise et l'émerveillement. Son approche déroutante de la couleur et des textures intensifie la dimension fantastique de ces œuvres, plongeant l'observateur dans des univers où se confondent illusion et réalité. Ici, elle parvient à traduire toute l'immatérialité du ciel sombre, dont l'aspect éthéré vient trancher avec le rendu étrangement sculptural de ce coussin qui semble fait de marbre plutôt que de molleton. Arrive ensuite un fabuleux déferlement de touches souples et enlevées pour signifier la mer et les vagues, dont le flot paraît emporter l'oreiller dans l'obscurité. En ce sens, Flux et reflux de la nuit illustre pleinement la virtuosité avec laquelle Toyen arrive à mêler un parfum de mystère et une certaine profondeur psychologique à son imagerie onirique.
Aucun critique n'a mieux saisi la richesse de la démarche artistique de Toyen que son amie proche, femme de lettres et poétesse, Annie Le Brun. Celle-ci écrit dans l'introduction du catalogue d'exposition Toyen, L'Écart absolu : « Toyen va déserter toutes les voies balisées. En ce sens, personne plus qu’elle n’aura incarné l’'écart absolu' auquel appelait Charles Fourier : 'Colomb, pour arriver à un nouveau monde continental, adopta la règle d’écart absolu ; il s’isola de toutes les routes connues, il s’engagea dans un océan vierge, sans tenir compte des frayeurs de son siècle ; faisons de même, procédons par écart absolu.' En est résulté pour Toyen un voyage sans précédent, au cours duquel la peinture aura été avant tout le prétexte de s’aventurer dans les continuelles mouvances de la représentation, à la seule fin d’y discerner les courants susceptibles de nous emporter au-delà de ce qui est tenu pour réel » (A. Le Brun, in Toyen, L'Écart Absolu, cat. exp, Musée d'Art Moderne de Paris, Paris, 2022, p. 11).