Jane Graverol
Fleurs
Found at
Christies,
Paris
Collection Paul et Jacqueline Duchein, Le Théâtre de l'imaginaire, Lot 44
24. Sep - 24. Sep 2024
Collection Paul et Jacqueline Duchein, Le Théâtre de l'imaginaire, Lot 44
24. Sep - 24. Sep 2024
Estimate: 30.000 - 50.000 EUR
Price realised: 44.100 EUR
Price realised: 44.100 EUR
Description
"Tout ce que Madame Jane Graverol veut peindre me paraît chargé de la résonance symbolique qui naît de la variété des sentiments romantiques et dramatiques. Au lieu de ‘s'évader par l'art’, il est en effet possible, à partir du moment où l'on décide de peindre, de ne pas abandonner ses préoccupations habituelles et de créer des images d'émotions contradictoires qui intéresseront réellement celui qui s'intéresse aux documents humains, qui pourra à son tour éveiller la curiosité d'un nouvel observateur et ainsi de suite, à l'infini. Les peintures de Jane Graverol se situent quelque part dans ce monde du sentiment où les liens entre les choses sont contenus dans des limites précises. Mais il s'avère que la force de l'inattendu rend plus difficile la saisie de leur sens. Jane Graverol ne veut pas contrer la puissance de l'inattendu, elle participe donc à la seule activité spirituelle nécessaire".
(René Magritte, Temps mêlés, 1953).
Artiste belge, Jane Graverol est l’une des figures féminines les plus importantes du mouvement surréaliste belge. Celle qui suivit les enseignements des symbolistes Constant Montald et Jean Delville à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et les préceptes de son père - peintre à l’autorité paternelle étouffante - ne manqua pas de se dégager rapidement des préceptes de ses maitres afin de prendre une place unique au sein du mouvement fondé en 1924 par André Breton. Son œuvre et la place qu’elle prit au sein de ce courant artistique majeur, confirme l’importance de la Belgique, véritable terreau fertile pour le courant surréaliste.
Inspirée du pionnier du Surréalisme, Giorgio De Chirico, mais aussi du maitre incontesté de ce mouvement, son compatriote René Magritte, Graverol commence à exposer sous le nom de Jean Graverol, ayant conscience des difficultés qui l’attendent en tant qu’artiste femme. Dès 1927, âgée d’à peine 22 ans, la jeune artiste se fait une place sur la scène artistique avec une exposition personnelle à la Galerie Fauconnier.
Celle qui avait pris l’habitude de poser pour son père et avait commencé sa carrière en réalisant des autoportraits, rejoint rapidement le groupe surréaliste dit ‘de Bruxelles’ suite à sa rencontre en 1949 avec René Magritte et Louis Scutenaire. Son impact immédiat et profond au sein du groupe est alors considérable : elle co-fonda avec André Blavier le groupe Temps Mêlés et co-éditant sa revue. En 1954, Graverol fonde ensuite la revue littéraire Les Lèvres nues avec Marcel Mariën, écrivain et poète surréaliste avec qui elle partagea une partie de sa vie.Cette revue mettait en avant une variété d’œuvres littéraires, poétiques et philosophiques dont le caractère provocateur et anticonformiste soutenait les idéaux et expressions artistiques du groupe. Admirée par ses deux co-auteurs, Graverol l’est également par René Magritte, développant tous deux un attachement profond pour le caractère poétique et énigmatique du langage surréaliste. Forts de ces échanges et de cette implication au sein du groupe, le style de Graverol évolue vers la production d’œuvres surréalistes d’une facture lisse comme Magritte, résultats de ce qu’elle appelle ses « rêves réveillés ».
Graverol, cependant, développa un style très personnel empreint d’une véritable sensibilité féminine et à l'opposé des représentations canoniques contemporaines des femmes (dans des rôles de mère nourricière ou de muse idéalisée). L’artiste substitue à l'image fondatrice de la femme nue, sur laquelle d'innombrables artistes masculins ont écrit leurs héritages, sa propre représentation empreinte de réflexions sur les propriétés propres des corps dans la représentation visuelle. Dans l’œuvre de Graverol, la femme devient érotisée, mais est surtout l’actrice de son propre destin. Le thème de l’émancipation féminine sous-tend dès lors bon nombre des œuvres de Jane Graverol, elle qui grandit dans une période historique de libération progressive du statut politique et économique des femmes.
Vers le milieu des années 1960, Jane Graverol prend ses distance par rapport au groupe surréaliste. Intéressée par la microbiologie et influencée par son enfance passée à côté du Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles, l’artiste belge se plonge dans le monde de l’infiniment petit. A l’aspect surréaliste et aux idéaux d’émancipation féminine, s’ajoute désormais dans les toiles de l’artiste un intérêt fort et particulier pour le monde végétal et animal.
Les présentes Fleurs sont un exemple parfait de cette période de l’œuvre de Graverol et de son intérêt pour le thème récurrent de la nature morte. Ce sujet lui permet « d’établir le rôle majeur joué par les femmes artistes dans des traditions, souvent critiquées pour être ‘féminines’ et ‘décoratives’, et par conséquent moins importantes que le genre plus ‘masculin’ de la peinture d’histoire. » (P. Allmer, ‘Une « Pièce de dentelle » : production genrée et travail esthétique chez Rachel Baes, Jane Graverol et Irène Hamoir, in Histoire de ne pas rire, Le Surréalisme en Belgique, cat. exp., Bozar, Bruxelles, 2024,p. 215). La présente œuvre atteste de l’ancrage véritable de Graverol dans la nature, typique et constitutif du discours féminin surréaliste. Elle y associe l’émancipation de la femme et sa quête identitaire à l’émancipation de la faune et de la flore. La nature, comme la femme, dispose pour Graverol d’une force porteuse de toutes les transformations, d’une pulsion transformatrice. Cette œuvre est également typique du style lisse, inspiré par Magritte qui répond à une « exigence d’exactitude mimétique qui doit contribuer à piéger la conscience pour libérer l’imaginaire. Sensible, le pinceau de Graverol ne renonce pas à une qualité décorative qui allie éclat de la couleur et délicatesse de la touche. » (M. Draguet, ‘Du Surréalisme belge au féminin pluriel’, in Surréalisme au féminin ?, cat. exp. Musée de Montmartre, Paris, 2023, p. 34).
Ainsi, comme en témoignent ces Fleurs, la place de Jane Graverol au sein du mouvement surréaliste belge (et plus largement, international), fut d’une haute importance. Il y eu en Belgique, notamment grâce à elle, une véritable « intégration de la femme dans une dynamique créatrice voulue universelle dans sa pensée et universaliste dans sa composition » (Ibid., p. 33).
"Everything Madame Jane Graverol wants to paint seems to me charged with a symbolic resonance that arises from a variety of romantic and dramatic feelings. Instead of 'escaping through art', it is indeed possible, from the moment one decides to paint, not to abandon one's usual concerns and to create images of contradictory emotions that will genuinely interest those who are engaged with human documents, who can in turn awaken the curiosity of a new observer, and so on, infinitely. Jane Graverol's paintings exist somewhere in this world of feeling where the connections between things are contained within precise limits. However, it turns out that the force of the unexpected makes it more difficult to grasp their meaning. Jane Graverol does not want to counter the power of the unexpected; she thus participates in the only necessary spiritual activity. » - Galerie Isy Brachot, Bruxelles et Paris. | Acquis auprès de celle-ci le 6 juin 1986.
(René Magritte, Temps mêlés, 1953).
Artiste belge, Jane Graverol est l’une des figures féminines les plus importantes du mouvement surréaliste belge. Celle qui suivit les enseignements des symbolistes Constant Montald et Jean Delville à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et les préceptes de son père - peintre à l’autorité paternelle étouffante - ne manqua pas de se dégager rapidement des préceptes de ses maitres afin de prendre une place unique au sein du mouvement fondé en 1924 par André Breton. Son œuvre et la place qu’elle prit au sein de ce courant artistique majeur, confirme l’importance de la Belgique, véritable terreau fertile pour le courant surréaliste.
Inspirée du pionnier du Surréalisme, Giorgio De Chirico, mais aussi du maitre incontesté de ce mouvement, son compatriote René Magritte, Graverol commence à exposer sous le nom de Jean Graverol, ayant conscience des difficultés qui l’attendent en tant qu’artiste femme. Dès 1927, âgée d’à peine 22 ans, la jeune artiste se fait une place sur la scène artistique avec une exposition personnelle à la Galerie Fauconnier.
Celle qui avait pris l’habitude de poser pour son père et avait commencé sa carrière en réalisant des autoportraits, rejoint rapidement le groupe surréaliste dit ‘de Bruxelles’ suite à sa rencontre en 1949 avec René Magritte et Louis Scutenaire. Son impact immédiat et profond au sein du groupe est alors considérable : elle co-fonda avec André Blavier le groupe Temps Mêlés et co-éditant sa revue. En 1954, Graverol fonde ensuite la revue littéraire Les Lèvres nues avec Marcel Mariën, écrivain et poète surréaliste avec qui elle partagea une partie de sa vie.Cette revue mettait en avant une variété d’œuvres littéraires, poétiques et philosophiques dont le caractère provocateur et anticonformiste soutenait les idéaux et expressions artistiques du groupe. Admirée par ses deux co-auteurs, Graverol l’est également par René Magritte, développant tous deux un attachement profond pour le caractère poétique et énigmatique du langage surréaliste. Forts de ces échanges et de cette implication au sein du groupe, le style de Graverol évolue vers la production d’œuvres surréalistes d’une facture lisse comme Magritte, résultats de ce qu’elle appelle ses « rêves réveillés ».
Graverol, cependant, développa un style très personnel empreint d’une véritable sensibilité féminine et à l'opposé des représentations canoniques contemporaines des femmes (dans des rôles de mère nourricière ou de muse idéalisée). L’artiste substitue à l'image fondatrice de la femme nue, sur laquelle d'innombrables artistes masculins ont écrit leurs héritages, sa propre représentation empreinte de réflexions sur les propriétés propres des corps dans la représentation visuelle. Dans l’œuvre de Graverol, la femme devient érotisée, mais est surtout l’actrice de son propre destin. Le thème de l’émancipation féminine sous-tend dès lors bon nombre des œuvres de Jane Graverol, elle qui grandit dans une période historique de libération progressive du statut politique et économique des femmes.
Vers le milieu des années 1960, Jane Graverol prend ses distance par rapport au groupe surréaliste. Intéressée par la microbiologie et influencée par son enfance passée à côté du Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles, l’artiste belge se plonge dans le monde de l’infiniment petit. A l’aspect surréaliste et aux idéaux d’émancipation féminine, s’ajoute désormais dans les toiles de l’artiste un intérêt fort et particulier pour le monde végétal et animal.
Les présentes Fleurs sont un exemple parfait de cette période de l’œuvre de Graverol et de son intérêt pour le thème récurrent de la nature morte. Ce sujet lui permet « d’établir le rôle majeur joué par les femmes artistes dans des traditions, souvent critiquées pour être ‘féminines’ et ‘décoratives’, et par conséquent moins importantes que le genre plus ‘masculin’ de la peinture d’histoire. » (P. Allmer, ‘Une « Pièce de dentelle » : production genrée et travail esthétique chez Rachel Baes, Jane Graverol et Irène Hamoir, in Histoire de ne pas rire, Le Surréalisme en Belgique, cat. exp., Bozar, Bruxelles, 2024,p. 215). La présente œuvre atteste de l’ancrage véritable de Graverol dans la nature, typique et constitutif du discours féminin surréaliste. Elle y associe l’émancipation de la femme et sa quête identitaire à l’émancipation de la faune et de la flore. La nature, comme la femme, dispose pour Graverol d’une force porteuse de toutes les transformations, d’une pulsion transformatrice. Cette œuvre est également typique du style lisse, inspiré par Magritte qui répond à une « exigence d’exactitude mimétique qui doit contribuer à piéger la conscience pour libérer l’imaginaire. Sensible, le pinceau de Graverol ne renonce pas à une qualité décorative qui allie éclat de la couleur et délicatesse de la touche. » (M. Draguet, ‘Du Surréalisme belge au féminin pluriel’, in Surréalisme au féminin ?, cat. exp. Musée de Montmartre, Paris, 2023, p. 34).
Ainsi, comme en témoignent ces Fleurs, la place de Jane Graverol au sein du mouvement surréaliste belge (et plus largement, international), fut d’une haute importance. Il y eu en Belgique, notamment grâce à elle, une véritable « intégration de la femme dans une dynamique créatrice voulue universelle dans sa pensée et universaliste dans sa composition » (Ibid., p. 33).
"Everything Madame Jane Graverol wants to paint seems to me charged with a symbolic resonance that arises from a variety of romantic and dramatic feelings. Instead of 'escaping through art', it is indeed possible, from the moment one decides to paint, not to abandon one's usual concerns and to create images of contradictory emotions that will genuinely interest those who are engaged with human documents, who can in turn awaken the curiosity of a new observer, and so on, infinitely. Jane Graverol's paintings exist somewhere in this world of feeling where the connections between things are contained within precise limits. However, it turns out that the force of the unexpected makes it more difficult to grasp their meaning. Jane Graverol does not want to counter the power of the unexpected; she thus participates in the only necessary spiritual activity. » - Galerie Isy Brachot, Bruxelles et Paris. | Acquis auprès de celle-ci le 6 juin 1986.