Léon Spilliaert
Sirène (Baigneuse)
Found at
Christies,
Paris
Art Impressionniste & Moderne : OEuvres choisies, Lot 17
9. Apr - 9. Apr 2024
Art Impressionniste & Moderne : OEuvres choisies, Lot 17
9. Apr - 9. Apr 2024
Estimate: 400.000 - 600.000 EUR
Price realised: 428.400 EUR
Price realised: 428.400 EUR
Description
Possédé par un besoin d’expression original sans détours, Léon Spilliaert, né à Ostende en 1881, se singularise de ses contemporains à plusieurs niveaux. Jeune dessinateur compulsif, il découvre lors de ses visites aux salons de Paris, dès 1900, l’influence importante des mouvances artistiques impressionnistes et symbolistes auxquelles il adhère à ses débuts. Abandonnant cependant rapidement un style réaliste narratif, il décide de suivre une voie très personnelle en adoptant une technique sobre principalement sur support papier et une imagerie percutante de vérité.
Autodidacte, fuyant l’enseignement académique, il se crée un monde imaginaire où il s’interroge sur les valeurs existentielles de vie et de mort, sur les sentiments humains d’amour et de désir, de liberté spirituelle et de solitude. De tempérament solitaire et promeneur infatigable, la mer du Nord et ses rivages resteront toute au long de sa vie, dans des compositions d’une singulière étrangeté, les miroirs de ses émotions. D’autre part, lecteur avide, il trouve ses sources d’inspirations visuelles dans le répertoire littéraire belge et français, riche de visions d’interprétations de l’irréalité, des mythes et des légendes.
Ses références sont proches des écrits de Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Chateaubriand, du Comte de Lautréamont et de Gérard de Nerval. Leurs créations fantastiques de personnages fabuleux, mais également d’animaux monstrueux dans des repaires inhospitaliers évoquent des rêves douloureux, des mélancholies de pensées tragiques. A l’instar de son contemporain autrichien, Alfred Kubin (1877-1959), l’utilisation de métaphores, de figures mi-humaines, mi-animales comme des femmes-rapaces, des harpies, des femmes fées, permettent à Léon Spilliaert d’exprimer une incertitude de vie, d’une dissension de personnalité. Cependant il ne sacrifie pas uniquement aux images démoniaques obsessionnelles, il les situe souvent à un autre niveau et il les voile d’un humour sarcastique.
Enlevée rapidement à l’encre de Chine, Spilliaert aborde dans une première composition, vers 1903, l’image diabolique de la figure de la sirène guerrière, empreinte de frayeur (fig. 1). Dans son apparition féminine sculptée par les vents elle se situe bien loin de l’image de la fantomatique créature à la queue de poisson qui espiègle et aguicheuse caresse les cornes d’un satyre bienveillant, vers 1902 (fig. 2). L’inspiration de cette figure de sirène au dessein tentatrice mais dangereuse pourrait très bien trouver sa source dans la lecture de la Lorely, souvenirs d’Allemagne (1852) de Gerard de Nerval et dans les interprétations musicales nombreuses de la légende de cette sirène, femme fatale, qui entraîne nombreux pauvres humains vers les fonds marins et ses abimes mortels. Spilliaert s’est à plusieurs reprises penché sur ce sort tragique tout en n’épargnant pas les scènes d’une pointe d’humour cynique, comme dans La Noyade, 1904 où la sirène attrapant la queue d’un homme le condamne à une mort certaine (fig. 3).
Pour la plupart, les dessins des premières années jusqu’en 1910, sont exécutés en plusieurs temps. Le sujet est rapidement esquissé en quelques lignes conductrices à la mine de plomb. Des voiles au lavis d’encre de Chine remplissent les formes dans lesquelles les traits de pinceau restent visibles en tant que lignes de force. De discrètes interventions de couleur au crayon, au pastel et à l’aquarelle, renforcent parfois l’évocation de l’atmosphère.
Plus important est encore l’impact du contraste entre surfaces foncées et claires. La composition étant déjà clairement ancrée dans l’esprit de l’artiste, le pinceau qui distribue l’encre de Chine ou les accents d’aquarelle légère, épargne certains volumes des figures ou des espaces naturels et laissent apparaître le blanc du support papier. Ces plages blanches ont un rôle bien particulier car elles concentrent un des accents de lumière qui crée un contraste expressif et une intensité nécessaire. Il s’agit généralement du rayonnement d’une lumière spirituelle, bien davantage que de l’éclairage d’une donnée réelle. Cette technique si particulière et unique pour l’œuvre de Spilliaert le distingue des peintres de son époque et élargie la conception de ce que l’on appelle communément le dessin graphique.
L’image de la sirène est souvent associée à la figure d’une baigneuse svelte et ondoyante. Mais au-delà de cette donnée fictive, la présence de la mer du Nord et ses scènes de baignades populaires ont été sources de nombreuses interprétations pleines d’humour par le maître d’Ostende, James Ensor (1860-1949) qui ont également inspirées Léon Spilliaert. Tandis que l’humour d’Ensor est ressenti à la fois comme grossier et naïf, et ne vise personne en particulier mais l’ensemble de la société, Spilliaert dans ses interprétations des bains de mer en 1904, pratique une critique plus raffinée, comportant une connotation hypocrite qui dérange, proche de la réalité brute.
Quand quelques années plus tard, dès 1907, Spilliaert veut interpréter à sa façon l’essence de la figure de la baigneuse, il s’éloigne volontairement du motif traditionnel et du répertoire de la femme nue, élément central de scènes mythologiques et symboliques. Virtuellement inventée par Spilliaert, la gracieuse naïade au bord de l’eau viendra remplacer cette image classique. Peu d’artistes ont établi le lien essentiel entre la baigneuse et la pleine mer, à l’exception du peintre suisse Felix Vallotton (1865-1925) qui le précède.
Dans Petite baigneuse de 1907, (fig. 4) Spilliaert exprime la joie de la jeune femme qui entre dans le vagues mouvantes. Elle tend spontanément les bras vers le ciel et s’abandonne au sentiment envahissant d’une liberté cosmique. Ce même geste de joie de vivre presque enfantine, émane de la silhouette transparente de la ‘baigneuse-sirène’ de 1910 (fig. 5) qui s’élève gracieusement au-dessus des flots. Le reflet clair et lumineux de son corps à queue de sirène imprègne une ombre lumière sur les flots sombres. Sa chevelure au chatoiement roux-doré la rattache aux figures de légendes : Mélusine, Loreley, Mélisande… Ici elle est la personification de la nymphe invocatrice luttant pour une symbiose complète avec l’élément naturel. Notre sirène se livre à un jeu mystérieux de séduction de la mer par sa forme sinueuse comme une balise à l’effet de phare. Cela est tout à l’encontre des silhouettes statiques des baigneuses méditatives de la même année, que Spilliaert campe fermement dans le rivage sablonneux au bord de l’eau (fig. 6). Sombre silhouette, les bras croisés sur les épaules, la femme frileuse hésite à entrer dans la mer. De ses pieds elle retient la vague ourlée d’écume. Son apparition mélancolique tranche avec la frivolité chatoyante de l’eau, cette surface vibrante d’énergie et animée d’un mouvement continuel. Il n’est pas impensable que Spilliaert aurait repris la solution formelle de la ligne sinueuse en arabesques serpentines, introduite par les Nabis et particulièrement par Maurice Denis (1870-1943) dans ses vues de port en Bretagne.
Dans Sirène (Baigneuse), 1910, Spilliaert exprime vivement son désir de singularité expressive, frappante d’originalité et le sentiment d’immense esprit de liberté qui l’a animé tout au long de sa carrière. - Vente, Campo & Campo, Anvers, 22 avril 1997. | Vente, Campo & Campo, Anvers, 24 octobre 2006, lot 251. | Christian Fayt Art Gallery, Paris. | Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel en 2009.
Autodidacte, fuyant l’enseignement académique, il se crée un monde imaginaire où il s’interroge sur les valeurs existentielles de vie et de mort, sur les sentiments humains d’amour et de désir, de liberté spirituelle et de solitude. De tempérament solitaire et promeneur infatigable, la mer du Nord et ses rivages resteront toute au long de sa vie, dans des compositions d’une singulière étrangeté, les miroirs de ses émotions. D’autre part, lecteur avide, il trouve ses sources d’inspirations visuelles dans le répertoire littéraire belge et français, riche de visions d’interprétations de l’irréalité, des mythes et des légendes.
Ses références sont proches des écrits de Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Chateaubriand, du Comte de Lautréamont et de Gérard de Nerval. Leurs créations fantastiques de personnages fabuleux, mais également d’animaux monstrueux dans des repaires inhospitaliers évoquent des rêves douloureux, des mélancholies de pensées tragiques. A l’instar de son contemporain autrichien, Alfred Kubin (1877-1959), l’utilisation de métaphores, de figures mi-humaines, mi-animales comme des femmes-rapaces, des harpies, des femmes fées, permettent à Léon Spilliaert d’exprimer une incertitude de vie, d’une dissension de personnalité. Cependant il ne sacrifie pas uniquement aux images démoniaques obsessionnelles, il les situe souvent à un autre niveau et il les voile d’un humour sarcastique.
Enlevée rapidement à l’encre de Chine, Spilliaert aborde dans une première composition, vers 1903, l’image diabolique de la figure de la sirène guerrière, empreinte de frayeur (fig. 1). Dans son apparition féminine sculptée par les vents elle se situe bien loin de l’image de la fantomatique créature à la queue de poisson qui espiègle et aguicheuse caresse les cornes d’un satyre bienveillant, vers 1902 (fig. 2). L’inspiration de cette figure de sirène au dessein tentatrice mais dangereuse pourrait très bien trouver sa source dans la lecture de la Lorely, souvenirs d’Allemagne (1852) de Gerard de Nerval et dans les interprétations musicales nombreuses de la légende de cette sirène, femme fatale, qui entraîne nombreux pauvres humains vers les fonds marins et ses abimes mortels. Spilliaert s’est à plusieurs reprises penché sur ce sort tragique tout en n’épargnant pas les scènes d’une pointe d’humour cynique, comme dans La Noyade, 1904 où la sirène attrapant la queue d’un homme le condamne à une mort certaine (fig. 3).
Pour la plupart, les dessins des premières années jusqu’en 1910, sont exécutés en plusieurs temps. Le sujet est rapidement esquissé en quelques lignes conductrices à la mine de plomb. Des voiles au lavis d’encre de Chine remplissent les formes dans lesquelles les traits de pinceau restent visibles en tant que lignes de force. De discrètes interventions de couleur au crayon, au pastel et à l’aquarelle, renforcent parfois l’évocation de l’atmosphère.
Plus important est encore l’impact du contraste entre surfaces foncées et claires. La composition étant déjà clairement ancrée dans l’esprit de l’artiste, le pinceau qui distribue l’encre de Chine ou les accents d’aquarelle légère, épargne certains volumes des figures ou des espaces naturels et laissent apparaître le blanc du support papier. Ces plages blanches ont un rôle bien particulier car elles concentrent un des accents de lumière qui crée un contraste expressif et une intensité nécessaire. Il s’agit généralement du rayonnement d’une lumière spirituelle, bien davantage que de l’éclairage d’une donnée réelle. Cette technique si particulière et unique pour l’œuvre de Spilliaert le distingue des peintres de son époque et élargie la conception de ce que l’on appelle communément le dessin graphique.
L’image de la sirène est souvent associée à la figure d’une baigneuse svelte et ondoyante. Mais au-delà de cette donnée fictive, la présence de la mer du Nord et ses scènes de baignades populaires ont été sources de nombreuses interprétations pleines d’humour par le maître d’Ostende, James Ensor (1860-1949) qui ont également inspirées Léon Spilliaert. Tandis que l’humour d’Ensor est ressenti à la fois comme grossier et naïf, et ne vise personne en particulier mais l’ensemble de la société, Spilliaert dans ses interprétations des bains de mer en 1904, pratique une critique plus raffinée, comportant une connotation hypocrite qui dérange, proche de la réalité brute.
Quand quelques années plus tard, dès 1907, Spilliaert veut interpréter à sa façon l’essence de la figure de la baigneuse, il s’éloigne volontairement du motif traditionnel et du répertoire de la femme nue, élément central de scènes mythologiques et symboliques. Virtuellement inventée par Spilliaert, la gracieuse naïade au bord de l’eau viendra remplacer cette image classique. Peu d’artistes ont établi le lien essentiel entre la baigneuse et la pleine mer, à l’exception du peintre suisse Felix Vallotton (1865-1925) qui le précède.
Dans Petite baigneuse de 1907, (fig. 4) Spilliaert exprime la joie de la jeune femme qui entre dans le vagues mouvantes. Elle tend spontanément les bras vers le ciel et s’abandonne au sentiment envahissant d’une liberté cosmique. Ce même geste de joie de vivre presque enfantine, émane de la silhouette transparente de la ‘baigneuse-sirène’ de 1910 (fig. 5) qui s’élève gracieusement au-dessus des flots. Le reflet clair et lumineux de son corps à queue de sirène imprègne une ombre lumière sur les flots sombres. Sa chevelure au chatoiement roux-doré la rattache aux figures de légendes : Mélusine, Loreley, Mélisande… Ici elle est la personification de la nymphe invocatrice luttant pour une symbiose complète avec l’élément naturel. Notre sirène se livre à un jeu mystérieux de séduction de la mer par sa forme sinueuse comme une balise à l’effet de phare. Cela est tout à l’encontre des silhouettes statiques des baigneuses méditatives de la même année, que Spilliaert campe fermement dans le rivage sablonneux au bord de l’eau (fig. 6). Sombre silhouette, les bras croisés sur les épaules, la femme frileuse hésite à entrer dans la mer. De ses pieds elle retient la vague ourlée d’écume. Son apparition mélancolique tranche avec la frivolité chatoyante de l’eau, cette surface vibrante d’énergie et animée d’un mouvement continuel. Il n’est pas impensable que Spilliaert aurait repris la solution formelle de la ligne sinueuse en arabesques serpentines, introduite par les Nabis et particulièrement par Maurice Denis (1870-1943) dans ses vues de port en Bretagne.
Dans Sirène (Baigneuse), 1910, Spilliaert exprime vivement son désir de singularité expressive, frappante d’originalité et le sentiment d’immense esprit de liberté qui l’a animé tout au long de sa carrière. - Vente, Campo & Campo, Anvers, 22 avril 1997. | Vente, Campo & Campo, Anvers, 24 octobre 2006, lot 251. | Christian Fayt Art Gallery, Paris. | Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel en 2009.